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La Corse possède un élément de patrimoine immatériel spécifique : le « cantu in paghjella »

Le « cantu in paghjella » est une métaphore qui désigne simultanément un genre – profane et religieux- et une technique vocale. Sa spécificité réside dans la technique du « tuilage » et celle du « mélisme ». La conjugaison de ces deux techniques, qui se soutiennent et s’amplifient mutuellement, empêche la synchronisation et donc l’unisson. Le « cantu in paghjella » est transmis oralement, de façon non-formelle.

LE CORPUS

Les genres profane et religieux se transmettent en quatre formes : a paghjella, u terzettu, u madrigale, u cantu chjesale. Les trois formes profanes, a paghjella, u terzettu, u madrigale, se distinguent les unes des autres par leur structure plus ou moins poétique, selon une versification plus ou moins apparente.
Le genre religieux, u cantu chjesale, renvoie à un abondant répertoire de chants interprétés en latin lors des divers offices, selon le calendrier liturgique romain : messe des vivants, messe des morts, liturgie pascale, cantiques, psaumes, hymnes, etc.


LA TECHNIQUE D'INTERPRETATION

Le « cantu in paghjella » se chante à trois voix masculines, à capella, qui entrent toujours dans le même ordre : a seconda commence, suivie par u bassu ; a terza achève l’espace harmonique. A seconda et u bassu peuvent éventuellement être doublées. Selon le genre, le cantu in paghjella se chante en langue corse, en toscan ou en latin s’agissant du cantu chjesale.
On nomme u versu l’articulation particulière du mot et du son : assimilé à un mode d’interprétation propre à un individu, à une communauté villageoise ou à une pieve, sa spécificité permet d’identifier l’origine géographique du chant.
Le « cantu in paghjella » est exécuté selon un code d’entente intériorisé et respecté par les interprètes (disposition en cercle, afin que l’œil, l’oreille et la bouche fonctionnent en circuit fermé) car les chanteurs ne disposent pas ou se refusent à utilises les repères de la musique savante, à savoir la partition, le diapason, le métronome et le chef de chœur.


ETAT DES LIEUX

Depuis un siècle, le « cantu in paghjella » ne cesse d’être fragilisé. Dans la première moitié du XXème siècle, les deux guerres mondiales de 1914 et 1939 puis l’exode rural des années cinquante ont brisé sa chaîne de transmission : nombre d’individus qui véhiculaient le répertoire et maîtrisaient la technique du « cantu in paghjella » sont morts ou ont émigré. Les occasions de la transmission (fêtes profanes et rites religieux) se sont raréfiées.
Depuis une vingtaine d’années, en plus de la mondialisation qui menace la diversité culturelle, des facteurs économiques et sociaux propres à la Corse mettent le « cantu in paghjella » en danger : le tourisme de masse non contrôlé, la folklorisation du fait musical, la décontextualisation et la mise en spectacle des pratiques, la muséification du patrimoine immatériel.